Le téléphone au volant, angle mort de la sécurité routière?

Devenu incontournable au quotidien, le téléphone portable a également envahi l'habitacle des voitures, mais son usage au volant, dangereux, est largement répandu et imparfaitement mesuré dans les statistiques de l'accidentalité routière.
Le téléphone au volant, angle mort de la sécurité routière?
©Dusan Petkovic / Shutterstock

La hausse est vertigineuse : selon le baromètre Axa Prévention 2020, 69% des conducteurs interrogés utilisent leur téléphone en conduisant, une part qui a plus que triplé par rapport à 2004 (22%). Bien avant la généralisation des « smartphones », dont les utilisateurs sont invités à se priver à l’occasion des journées mondiales sans portable.

Que ce soit pour se parler, consulter ou envoyer un message, changer de musique ou suivre son itinéraire, il est devenu très difficile de s’en passer, même en voiture.

« Mais c’est un fantasme de croire qu’il est possible de continuer à mener ses activités habituelles et, en parallèle, celle la plus forte en terme de charge mentale : conduire, c’est prendre une décision toutes les 5 secondes », souligne Anne Lavaud, déléguée générale de l’association Prévention routière.

Selon une étude américaine menée en 2009 par le Virginia Tech Transportation Institute (VTTI), écrire un message au volant multiplie ainsi par 23 le risque d’accident. Il l’est par quatre si l’on téléphone, d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Dans son bilan 2020, l’Observatoire national de la sécurité routière (ONISR) estime que la voiture d’un conducteur à l’attention « diffuse » (temps de réaction de 2 secondes) met, à 130 km/h, 54 mètres de plus à s’arrêter que celle d’un conducteur concentré (0,5 sec).

Le « défaut d’attention » a justement été relevé par l’ONISR chez l’un des conducteurs dans un accident corporel sur cinq en 2020, et dans 13% des accidents mortels.

Mais cette cause englobe, outre l’usage du téléphone, celui des distracteurs technologiques (GPS, aide à la conduite), dont l’utilisation est également croissante, ainsi que « l’inattention » d’une manière générale.

Le bulletin d’analyse rempli par les forces de l’ordre après chaque accident corporel mêle également les causalités « téléphone et distracteurs ».

Et la recherche du téléphone comme cause d’accident est seulement effectuée « quand il n’y aucune autre raison évidente (alcool, stupéfiants, vitesse excessive), selon Me Vincent Julé-Parade, avocat spécialisé en droit des dommages corporels et droits des victimes.

Fadettes imparfaites

Résultat selon Me Julé-Parade : « on dispose de très peu de données objectives en terme statistiques. Si on avait plus d’éléments, on arriverait à des proportions effarantes ».

« L’usage du téléphone est une causalité probablement plus difficile à déterminer que d’autres », reconnaît Marie Gautier-Melleray, déléguée interministérielle à la sécurité routière. « Mais s’il y a un doute, le procureur de la République peut demander les fadettes (relevés téléphoniques NDLR) » aux opérateurs téléphoniques, ajoute-t-elle.

Cependant, les fadettes, quand elles sont demandées, « ne disent pas si le conducteur a utilisé une application, s’il a pianoté, et un message tapé mais pas envoyé n’y apparaît pas », explique Me Julé-Parade. De plus, poursuit-il, « elles ne permettent pas de savoir si on était en train d’utiliser son téléphone à l’instant T de l’accident, qui se joue à la seconde près ».

358.858 contraventions pour usage du téléphone ont été dressées en 2020, soit près de 100 par jour, un chiffre jugé « ridiculement bas » par Chantal Perrichon, présidente de la Ligue contre la violence routière.

Et si utiliser son téléphone ne constitue pas une circonstance aggravante autonome en cas d’accident (contrairement à l’alcool, les stupéfiants ou la vitesse excessive), l’arsenal répressif a toutefois été durci : depuis mai 2020, les automobilistes qui commettent une infraction routière avec leur téléphone à la main voient désormais leur permis de conduire immédiatement retenu et encourent une suspension pouvant aller jusqu’à un an.

L’utilisation des oreillettes et « kit mains libres » est interdite depuis 2015 mais tenir une conversation via le système « bluetooth » reste autorisé.

Or, selon une étude de 2011 de l’université Gustave-Eiffel et de l’Inserm, « téléphoner avec ou sans kit mains libres conduit au même niveau de risque, de par la composante cognitive et auditive de l’action ».

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